LIGHTNIN'
SLIM 1954-65
De Saint Louis où il naît le 13 mars
1913 à Baton Rouge où sa famille s'est installée quand il était tout jeune,
Otis Hicks apprend la guitare en écoutant les disques de Lightnin' Hopkins, à
plus de 30 ans! Il se produit dans les tavernes de la capitale de la Louisiane
au sein d'un grand orchestre de Rhythm & Blues. C'est cette formation que
le DJ noir, Ray Meaders dit Diggy Do, présente au producteur J.D. Miller, alors
le seul producteur-éditeur-arrangeur-propriétaire de studios de la région.
Miller juge l'orchestre très médiocre mais s'arrête sur le guitariste ultrabasique
qui se fait même nommer "Lightnin" pour son affinité avec Hopkins.
Le lendemain, Miller enregistre Otis
Hicks, rebaptisé Lightnin' Slim, en raison de son apparence élancée en
compagnie de l'harmoniciste Wild Bill Phillips. Cette séance mémorable donnera
l'extraordinaire Bad luck, un vrai
petit succès qui deviendra, longtemps après, Born under a bad sign via Booker T. & the MG's! Bad luck signale les débuts du Swamp
blues, cette atmosphère à ras-de-terre avec une interaction
guitare-chant-harmonica sur un rythme paresseux. Avec des effets fréquents de
percussion, c'est un des styles de blues les plus évocateurs: le cri du
crapaud-buffle semble retentir; on croirait presque entendre le clapotis des
marécages. Lightnin' Slim sera ensuite associé à d'autres bluesmen profonds de
Louisiane comme Lazy Lester puis Whisperin' Smith. Avec sa voix lente et
rocailleuse, au long accent traînant, sa capacité à transformer n'importe quel
blues en une pièce personnelle et haute en couleurs, Lightnin' Slim grave une œuvre
splendide, une des toutes meilleures du blues de l'après-guerre. La plupart de
ses titres sont dominés par un formidable sens théâtral et un humour
dévastateur. Consécration de son originalité: Lightnin' Hopkins, celui qu'il
imitait, reprendra deux morceaux de Slim: My
starter won't start et It's mighty
crazy.
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Photo © Gérard Herzhaft |
Contrairement à son compère Slim
Harpo, Lightnin' Slim n'a pas connu de grand succès national mais le public
noir sudiste lui a toujours été fidèle. Après 1966, Slim qui avait détruit un
camion appartenant à Miller dans un accident de la route prend peur et s'exile
à Detroit. Ce n'est qu'en 1972 que Fred Reif le (re)découvre et le sort de
l'usine où il travaillait. En compagnie de Whisperin' Smith, Lightnin'
entreprend une nouvelle carrière en Europe et apparaît, brillant, aux sommaires
de l'American Folk Blues Festival 1972, de l'American Blues Legends et au
festival de Montreux, accompagné par les Aces. Ses manières rurales
immanquables, parlant lentement, marchant lentement comme sur des coussins
d'air buvant cul sec, sa formidable présence sur scène et ses accoutrements -
ce bonnet de fourrure vissé sur le crâne sous les spotlights! - lui assurent
une brève mais forte popularité auprès du public européen.
Sa prestation à Montreux en 1972 est
particulièrement mémorable. Les organisateurs avaient décidé de faire
accompagner Lightnin' Slim et Whispering Smith par les Aces plus Lafayette
Leake. Ces derniers dont les manières urbaines étaient aux antipodes des Louisianais
n'avaient en plus jamais entendu parler de ces musiciens qu'ils regardaient
avec inquiétude et demandaient aux fans européens d'où sortaient ces deux
lascars et s'ils savaient vraiment jouer!!! Le résultat, heureusement
enregistré, dément ces appréhensions.
Lightnin' Slim devait revenir en
Europe mais hélas son décès inattendu le 27 juillet 1974 à Detroit l'empêcha de
profiter de ce nouveau public.
Nous avons regroupé ici la totalité
(ou presque) des enregistrements effectués par Lightnin' Sim entre 1954 et
1965, essentiellement pour le producteur J.D. Miller. Manquent quelques
fragments de titres apparus sur certaines anthologies mais qui sont visiblement
des bouts de morceaux déjà édités par ailleurs.
La discographie de Lightnin' Slim
comme celle de tous les enregistrements effectués par Miller à Crowley est loin
d'être entièrement fiable. Cela est d'abord dû aux méthodes de Miller qui
conservait énormément de prises mais qui n'était guère rigoureux quant à ses
archives. Beaucoup de prises alternatives ont été déterrées par l'excellent
critique Bruce Bastin, historien du blues et directeur du label Flyright lors
de ses séjours à Crowley. En l'absence de mentions écrites, de présence de
musiciens il a tenté de reconstituer les dates et les noms des accompagnateurs.
J'avais moi-même été à Crowley rencontrer J.D. Miller et son fils Mark – qui
dirigeait de facto les labels – en 1981-82 et, lorsque je demandais pourquoi il
n'avait pas tenu des archives discographiques rigoureuses, Miller m'avait
répondu " Quand on les a enregistrés, ces bluesmen étaient considérés
comme des marginaux, fainéants et passablement alcooliques. Le but était de
fournir les jukeboxes des bars pour la population noire qui raffolait de ce
type de blues. Personne n'imaginait alors que quelqu'un s'intéresserait à eux
de façon "sérieuse", encore moins en Europe...
L'œuvre de Lightnin' Slim est
magistrale et place le bluesman au sommet de la pile des bluesmen sudistes. Je
l'ai découvert en 1964 en achetant en Angleterre un LP qu'il partageait avec
Slim Harpo ("A long drink of blues"). A l'époque, ce disque comme
plusieurs anthologies du label Excello constituait une bonne partie du
répertoire des groupes de blues anglais comme les Rolling Stones! Depuis cette
date, j'avoue qu'il ne se passe par de longs intervalles entre les moments où
j'écoute avec le même ravissement Lightnin' Slim et ses compagnons de ce qu'on
appelle communément aujourd'hui le Swamp blues.
Gérard
HERZHAFT
Born on march 13 1913 in Saint Louis but
raised in Baton Rouge (La), Otis Hicks worked for years as a sharecropper and
tractor driver on plantations while being attracted by the blues and
particularly the guitar of Lightnin' Hopkins.
In fact, Otis started
to play guitar quite late in his life, around 1953, but soon was heard on
several R&B local bands. Thanks to the famous DJ Diggy Do (Ray Meadows),
Otis was brought to the attention of producer J.D. Miller who, impressed by the
low down blues of Hicks, took him into his Crowley recording studio and issued
records under the moniker Lightnin' Slim that he created for Otis Hicks.
In 1954, Bad luck was a local hit for Slim and
Miller, the first record of a long decade of some wonderful and most witty,
gritty, low down and dirty blues to come off of this area. If other Miller's
artists waxed remarkable blues, it is undoubtedly with Lightnin' Slim that the
so called Swamp blues peaks at its all-time swampiest. Listen to some of his
extraordinary sides issued on the Excello label during the 50's and early 60's
and you are transplanted from your armchair to the Louisiana bayou land where
you can hear the croaks of the frogs and the swash of the swamp. Another Hoodoo man blues later and you'll probably
even feel the mosquitoes biting your skin!
In 1966, the down
home blues was not selling anymore in the USA,
so Slim moved to Detroit
to work in a car factory. But his reputation was very high among the European
blues buffs, particularly in England
where his records were the inspiration for a lot of rock groups. So in 1972,
Fred Reif who had found Slim in Detroit
persuaded him to bring his Swamp blues overseas, alongside his old partner harmonica
player Whispering Smith.
Slow walking, slow
talking, hard drinking, with some improbable get-ups, Slim seemed to be for the
young Europeans the archetype of the Southern bluesman. He was a big success
everywhere and enjoyed a lot to be treated like a star, surrounded by young
ladies and sipping good scotch or even (better?) French cognac.
Slim and Smith gave
one of their most memorable concert on the venerable jazz festival of Montreaux
in Switzerland.
They had to be backed by the Aces (Myers brothers, Below and Lafayette Leake)
who had never heard of those Louisianan down home bluesmen and were very
worried about their musicianship and their ability to play anything or even
stand on stage with all the alcohol they had drunk since the afternoon. A
coterie of French blues fans had to reassure them before they entered stage.
There were plans
for Slim to return quickly on those shores and to tour extensively everywhere
in Europe. But he died unexpectedly on 27 July
1974 in
Detroit.
The discography of
Lightnin' Slim, like that of all Miller's Crowley
recordings, is far from entirely reliable. This is due first and foremost to
Miller's methods: he kept an enormous number of takes, but was hardly rigorous
in his archiving. Many alternative takes were unearthed by the excellent critic
Bruce Bastin, blues historian and director of the Flyright label, during his
visits to Crowley.
In the absence of any written mention of dates or the presence of musicians, he
tried to reconstruct dates and names of accompanists. I myself went to Crowley
to meet J.D. Miller and his son Mark - who de facto ran the labels - in 1981-82
and, when I asked J.D. why he hadn't kept rigorous archives records, Miller
replied, “When we recorded them, these bluesmen were considered marginal, lazy
and fairly alcoholic. The aim was to supply the jukeboxes in the bars for the
black population, who loved this type of blues. At the time, no one imagined
that anyone would take a “serious” interest in them, least of all in Europe..."
Lightnin' Slim's
work is masterful, and places him at the top of the pile of Southern bluesmen.
I discovered him in 1964 when I bought an LP in England that he shared with Slim
Harpo (“A long drink of blues”). At the time, this record, like several
anthologies on the Excello label, formed a large part of the repertoire of
English blues bands like the Rolling Stones! Since then, I confess that there
are not long intervals between listening with the same delight to Lightnin'
Slim and his companions of what is now commonly known as Swamp blues.
Gérard
HERZHAFT