Nombre total de pages vues

mardi 9 octobre 2018

RAP LE BLUES et NOUVELLES EN BLUES

RAP LE BLUES et NOUVELLES EN BLUES


 J'ai réédité récemment - et pour satisfaire de nombreuses demandes - mon roman de 1986 UN LONG BLUES EN LA MINEUR. Mais, pour cette nouvelle édition, j'y ai ajouté plusieurs nouvelles sur le blues que j'ai écrites au cours des années mais qui n'avaient jamais paru en format papier.
Voici un extrait d'une de ces nouvelles intitulées RAP LE BLUES
UN LONG BLUES EN LA MINEUR + NOUVELLES EN BLUES est en vente uniquement sur Amazon.
Ou bien, si vous le désirez dédicacé, contactez moi sur mon mail que vous trouverez sur mon site

RAP LE BLUES
 - I -
         - Cool man, cool! Il n'est que quatre heures. Ne commence pas déjà à t'énerver...
        Mais tous les efforts que fait Dick, le manager, pour calmer Razor Edge sont vains. Comme souvent lorsque les choses ne se déroulent pas telles qu'il le souhaiterait, le rappeur ne maîtrise pas sa colère.
        - Hey man! Tu crois ça? Dis, tu crois ça?... On accepte de venir jouer jusque dans ce trou perdu du Mississippi pour la moitié de notre cachet et voilà qu'y a rien de prêt. La sono est dégueulasse, les techniciens ne sont même pas là. Et tous ces péquenots qui sont en train de nous mater alors que je dis toujours que je veux personne, personne aux balances! C'est encore de ta faute, Dick, tu t'es laissé prendre aux bobards de ces culs-terreux. "Ah! Mr Razor Edge, une superstar du rap comme vous, ce serait tellement formidable que vous jouiez dans notre festival". C'est tout juste si le maire y me donnait pas du "frère", genre "On est tous deux des Africains-américains, Mr Razor Edge... Alors, une grande vedette comme vous, vous ferez bien un prix pour être applaudi par vos ancêtres du Sud...". J'lui ai dit: "Pour toutes les questions de fric, voyez mon manager". J'aurais mieux fait de l'envoyer balader ce jour-là...
        D'un grand geste de la main, il désigne la banderole qui surplombe la scène:
        - "Des work songs au rap: Mississippi, la terre mère des musiques américaines ". Tu parles si je m'en tape du Mississippi. Tout ce que je vois c'est qu'on va gagner de l'argent sur notre dos, sur mon dos. Et ça, Dick, c'est encore à cause de toi et de ton bon cœur. Et, crois-moi, j'en ai marre! Mon cœur à moi, il est d'abord dans mon portefeuille. Et pas ailleurs!
        Dick force alors le rappeur à s'asseoir.
        - Allons, relaxe! Pose-toi. Sers toi à boire dans la glacière, profite du beau temps. Je vais aller aux nouvelles, tenter d'arranger ça.
        Il fait signe aux musiciens de l'orchestre de s'asseoir aussi et d'attendre son retour.
        Razor Edge trépigne, continue à jurer un moment, se tourne vers le public, un petit groupe de jeunes qui est venu souvent de villages très éloignés, voir enfin leur idole durant les réglages techniques. Qui sait? Quelqu'un d'aussi proche des préoccupations des jeunes que le célèbre rappeur se mêlera peut-être à eux, leur signera leurs T-shirts, écoutera leurs problèmes, saura les conseiller? Comme il le fait si bien dans ses chansons.
        Mais Razor Edge, furieux, leur fait de grands gestes afin qu'ils partent. Il n'aime pas qu'on le regarde en dehors des concerts. Ses fans se méprennent, croient qu'il salue leur fidélité, l'applaudissent. De rage, il leur fait un bras d'honneur. Eux répondent par une ovation. Finalement, ce sont ses musiciens qui forcent la vedette à se calmer.
        Le temps passe. Toujours pas de techniciens. En ce début juillet, la chaleur du Sud est accablante. Le rappeur a cessé de s'énerver. Il boit une bière en lançant de temps à autre un regard mauvais alentour. Nick, le batteur, un grand gaillard aux gigantesques mains, rompt le silence, désigne une silhouette qui, large chapeau sur la tête, un étui de guitare à la main, entreprend de traverser le vaste champ où ce soir doit avoir lieu le concert.
        - Tiens, man. Voila quelqu'un. On va peut-être commencer la balance.
        Mais l'homme qui arrive n'a rien d'un technicien du son. Un vieux bonhomme, peau jaune-noire parcheminée par le temps, des rides partout, quelques graines de coton qui sortent de son chapeau. Il s'arrête à deux pas des jeunes gens. Ses yeux sont cachés par d'épaisses lunettes noires. Les rappeurs le regardent un long moment, attendent qu'il parle le premier. Mais l'autre ne dit rien. Il a posé son étui de guitare, une caisse de toile aussi usée par les intempéries que son propriétaire. Finalement, Nick fait un signe de tête:
        - Salut, l'ancêtre! Qu'est-ce que tu veux?
        L'autre esquisse un sourire, dévoile une bouche édentée, crache sur l'herbe un bout de chique.
        - Howdy, youngsters! Vous auriez pas un bout de siège pour moi? J'suis venu de chez moi à pied et, avec cette chaleur, je me sens un peu fatigué.
        Interloqués, les rappeurs se regardent. Razor Edge désigne un fauteuil de toile qui attend d'être déplié. Mais le bonhomme ne comprend pas l'invitation, crache à nouveau sa chique. Sans trop savoir pourquoi, Nick se lève, déplie la toile, installe le fauteuil à côté d'eux, prend le vieux par la main et l'asseoit.
        - Merci, merci... Ça fait du bien à mes vieux os!
        Le batteur, un sourire aux lèvres, prend dans la glacière une bière qu'il tend au bonhomme.
        - Soif, l'ancien?
        L'homme tourne ses lunettes fumées vers Nick, hoche la tête, l'air de dire: "Oui, oui, j'ai soif. Merci. C'est très gentil". Mais il laisse le jeune homme avec sa bière, émet un petit grognement, fouille dans sa botte droite, un cuir aussi usé que tout le reste. Comme il se penche pour chercher, ses os se mettent à grincer d'une façon qui fait rire les rappeurs. Enfin, il sort une fiole de sa botte, l'ouvre, la tend vers les autres, comme pour trinquer avec eux.
        - C'est ça que je bois quand y fait chaud! Et quand y fait froid aussi d'ailleurs! Y a rien de mieux pour se remettre en selle. C'est de ma fabrication!
        Il porte la petite bouteille à ses lèvres, descend le liquide pendant un bon moment. Enfin, il la détache de sa bouche, fait claquer sa langue l'air ravi.
        - Vous en voulez?
        - Qu'est-ce que c'est?
        - Du moonshine, petits! Le meilleur moonshine du Mississippi! Vous savez... l'alcool qu'on fabrique au clair de lune en contrebande.
        Il éclate d'un rire aigrelet, tend sa fiole aux jeunes gens, approche son visage de ceux de Nick et de Razor Edge. Comme ça, de près, avec ses milliers de petits trous partout, on dirait la surface de la lune. Son haleine empeste l'alcool.
        - C'est pas pour rien qu'on m'appelle "Moonshine Sam".
        Razor Edge pensait se débarrasser assez vite de cet importun, lui faire comprendre qu'on ne devait pas les déranger avant, pendant et même après la balance. Mais, sans savoir pourquoi, quelque chose le fascine chez ce vieux bonhomme. Il prend la fiole, la porte à ses lèvres:
        - Merci, Moonshine Sam. Et qu'est-ce que tu viens faire ici?
        - Mais... je joue ce soir. Avant vous!
        Il tend le bras vers la banderole:
        - "Toutes les musiques du Mississippi". Comme je joue mon blues depuis soixante dix ans, on m'a engagé pour faire votre première partie! "Du blues au rap" a dit Monsieur le Maire. Hier, c'était un groupe de gospel avant B.B. King!
        En d'autres circonstances, Razor Edge se serait étranglé d'indignation. Mais là, c'est le moonshine du vieux qui le fait cracher, tousser, monter les larmes aux yeux.
        Il rend la fiole à Sam:
        - Qu'est-ce qu'il y a là-dedans? C'est du feu! Et tu bois ça?
UN LONG BLUES EN LA MINEUR

        - De l'eau de feu! C'est mon grand-père, un Cherokee pur sang qui m'a montré comment on en fabrique. Et je bois ça depuis un bon moment, mon gars! Depuis un bon moment! J'suis d'ailleurs sûr que c'est grâce à mon moonshine que je suis encore de ce monde. Jamais malade le vieux Sam!

        Razor Edge avale le verre d'eau que lui a donné Nick. Le vieux devrait l'énerver, le mettre hors de lui. D'habitude, il aurait déjà appelé le service de sécurité pour faire dégager l'importun. Mais là, est-ce l'atmosphère du Mississippi? L'attitude inhabituelle du bonhomme? Il a plutôt envie de lui poser cent questions.


This novel (without the short stories!) is also still in print translated in English:
LONG BLUES IN A MINOR

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire